Skip over navigation

Les Fleurs du mal: Poems and Art

“Le Masque”   |   “Bohémiens en voyage”


Le Masque

   Statue allégorique dans le goût de la Renaissance
   À Ernest Christophe, statuaire.

Contemplons ce trésor de grâces florentines;
Dans l'ondulation de ce corps musculeux
L'Élégance et la Force abondent, sœurs divines.
Cette femme, morceau vraiment miraculeux,
Divinement robuste, adorablement mince,
Est faite pour trôner sur des lits somptueux,
Et charmer les loisirs d'un pontife ou d'un prince.

– Aussi, vois ce souris fin et voluptueux
Où la Fatuité promène son extase;
Ce long regard sournois, langoureux et moqueur;
Ce visage mignard, tout encadré de gaze,
Dont chaque trait nous dit avec un air vainqueur :
«La Volupté m'appelle et l'Amour me couronne!»
A cet être doué de tant de majesté
Vois quel charme excitant la gentillesse donne !
Approchons, et tournons autour de sa beauté.

O blasphème de l'art! ô surprise fatale !
La femme au corps divin, promettant le bonheur,
Par le haut se termine en monstre bicéphale !

– Mais non! ce n'est qu'un masque, un décor suborneur,
Ce visage éclairé d'une exquise grimace,
Et, regarde, voici, crispée atrocement,
La véritable tête, et la sincère face
Renversée à l'abri de la face qui ment.
Pauvre grande beauté ! le magnifique fleuve
De tes pleurs aboutit dans mon cœur soucieux;
Ton mensonge m'enivre, et mon âme s'abreuve
Aux flots que la Douleur fait jaillir de tes yeux!

– Mais pourquoi pleure-t-elle ? Elle, beauté parfaite
Qui mettrait à ses pieds le genre humain vaincu,
Quel mal mystérieux ronge son flanc d'athlète ?

– Elle pleure, insensé, parce qu'elle a vécu !
Et parce qu'elle vit ! Mais ce qu'elle déplore
Surtout, ce qui la fait frémir jusqu'aux genoux,
C'est que demain, hélas! il faudra vivre encore !
Demain, après-demain et toujours ! – comme nous !

— Charles Baudelaire, Les Fleurs du mal, “Spleen et Idéal”


This poem was inspired by a statue by Ernest Christophe, exhibited in the 1859 Salon. The title of the original plaster cast was “La Comédie humaine.” It was generally unnoticed at the Salon, but Baudelaire praised it in a description that shares similarities with the poem. Later, when Christophe exhibited the marble version, he changed the title of the sculpture and named it “Le Masque” after Baudelaire’s poem. The state bought the marble sculpture, and it was put in the Tuileries in 1877, near the “bassin rond.” It remained there until 1982, when it was transferred to the Musée d’Orsay.

The poem illustrates Baudelaire’s method of transposing a work of art into poetry. While the first part of the poem carefully conjures up the statue in its materiality, the end of the poem follows the poet’s imagination as he interrogates the statue and interprets its meaning.

“Sculpture” in Salon de 1859:

“Ce dernier [La comédie humaine] représente une femme nue…qui, vue en face, présente au spectateur un visage souriant et mignard, un visage de théâtre. Une légère draperie, habilement tortillée, sert de suture entre cette jolie tête de convention et la robuste poitrine sur laquelle elle a l’air de s’appuyer. Mais, en faisant un pas de plus à gauche ou à droite, vous découvrez le secret de l’allégorie, la morale de la fable, je veux dire la véritable tête révulsée, se pâmant dans les larmes et l’agonie. Ce qui avait d’abord enchanté vos yeux, c’était un masque, c’était le masque universel, votre masque, mon masque, joli éventail dont une main habile se sert pour voiler aux yeux du monde la douleur et le remords.”

— Charles Baudelaire, Oeuvres complètes, Vol. II. Paris: Gallimard, 1976.


Christophe, Ernest, 1827-1892
"La Comédie humaine," later known as "Le Masque" (1959)
Plaster. Reproduced with the permission of the Service du Patrimoine,
Mairie de Loches and the Musée Lansyer in Loches.

[Top]



Bohémiens en voyage

La tribu prophétique aux prunelles ardentes
Hier s'est mise en route, emportant ses petits
Sur son dos, ou livrant à leurs fiers appétits
Le trésor toujours prêt des mamelles pendantes.

Les hommes vont à pied sous leurs armes luisantes
Le long des chariots où les leurs sont blottis,
Promenant sur le ciel des yeux appesantis
Par le morne regret des chimères absentes.

Du fond de son réduit sablonneux, le grillon,
Les regardant passer, redouble sa chanson;
Cybèle, qui les aime, augmente ses verdures,

Fait couler le rocher et fleurir le désert
Devant ces voyageurs, pour lesquels est ouvert
L'empire familier des ténèbres futures.

— Charles Baudelaire, Les Fleurs du mal, “Spleen et Idéal”


Loubon, Émile, 1809-1863
"Type : La Femme du Caraco"
In : Les Français peints par eux-mêmes,
encyclopédie morale du dix-neuvième siècle
. Vol. 6.
Paris : L.Curmer, 1840.
John Hay Library Starred Books Collection

 

 

The eight volumes of Les Français peints par eux-mêmes present short texts about social types and stereotypes, each of them supplemented by a color print. The volumes were published between 1840 and 1842. The image of “La Femme du Caraco” appears in the section on Bohemians, or Gypsies, and can accompany a reading of Baudelaire’s “Bohémiens en voyage.”

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Callot, Jacques, 1592-1635
"Les Bohémiens en marche"
In : Jacques Callot, maître graveur (1593-1635) suivi d'un Catalogue raisonné et accompagné de la reproduction de 282 estampes et de deux portraits, par Pierre-Paul Plan.
Bruxelles-Paris : G. van Oest & cie, 1911.
John Hay Library Starred Books Collection

Jacques Callot (1592-1635) was a master draftsman and printmaker who worked primarily in the ducal courts of Lorraine and Tuscany. His prints represent military and religious subjects, festivals and theatrical performances, as well as everyday figures, from drunkards and beggars to elegant courtiers.

Callot may have seen groups of wanderers like those depicted in the series of prints “The Bohemians”; for him these vagabonds are representative of their own uncertain future. Likewise, Baudelaire transforms the Bohemians into a figure for the future: for desire, hope and uncertainty. Baudelaire’s Bohemians can also be interpreted as a representation of the artist whose clairvoyance and distant gaze do nothing to resolve his ever uncertain future.

[Top]

 

Next exhibit section >